PRETTY DOLLCORPSE : manifeste des marges
Crédits : @tenzinshen
Avec PRETTY DOLLCORPSE, Femtogo, Ptite sœur et Neophron signent un projet politique et puissant, où douleurs, traumatismes et violences vécues deviennent parole incarnée. Un disque que les artistes offrent pour eux-mêmes et pour tous ceux et celles qu’on n’entend pas, qu’on n’écoute pas, porté par une direction artistique maîtrisée, immersive et singulière.
Dès les premières secondes de PRETTY DOLLCORPSE, le ton est donné :
“ Y’a de l’espoir les mômes, y’en aura toujours. Personne nous a abattu, personne nous abattra […] Sista c’est maman, papa c’est FEMTO ”
Le décor est planté : celui d’une famille choisie, de figures de résistance, d’une rage tendre adressée aux oubliés. Femtogo, Ptite sœur et Neophron signent ici un projet à la fois musical, performatif et cinématographique, un manifeste poétique et politique où chaque mot pèse.
Plus qu’un album, PRETTY DOLLCORPSE s’écoute comme on lit, comme un texte fondateur, comme on regarde un documentaire tourné dans les marges du monde visible.
Dès l’ouverture, la dramaturgie s’installe : il ne s’agit pas d’un disque, mais d’une mise en scène sonore. L’intro agit comme une porte entrouverte sur l’intime et le collectif — l’auditeur·ice entre dans l’antichambre des pensées et des blessures partagées.
Un rap d’expérience et de confrontation
Le cœur du projet, c’est le verbe. Un rap d’expérience, frontal, qui ne raconte pas sur mais depuis le vécu — celui des précaires, des corps méprisés, des existences en lutte. Les textes plongent dans les zones sombres du réel : inceste, pédocriminalité, harcèlement, discriminations liées au genre ou à l’orientation sexuelle, addictions, travail du sexe. Ici, la parole n’explique pas, elle expose. Elle devient geste, arme, soin. Le rap n’est plus code ni posture : il redevient outil de vérité.
“ Maintenant c’est à nous de rendre le monde plus beau, et si c’est pas plus beau ça sera au moins plus vrai ”
On a pu entendre dire de certaines voix que Femtogo et Ptite sœur ne « portent pas l’histoire du rap » et que cette proposition artistique est de fait illégitime — mais c’est ignorer que le rap, dans son essence, est une pratique de l’expérience : dire, dénoncer, se dresser, revendiquer.
PRETTY DOLLCORPSE réactive cette mémoire. C’est à la fois un cri de survie et un programme politique quand Femtogo lâche :
“ On va continuer de vous éduquer encore et encore ”
L’architecture du chaos
L’un des grands accomplissements du projet tient à sa cohérence architecturale. Neophron bâtit un univers sonore où tout grince, se tord, se superpose. Les voix saturent, les basses grondent, les textures glitchées se mêlent à des guitares écorchées ou des nappes électroniques étouffées.
Cette hybridation mouvante entre rap, rock et électro ne cherche jamais la fusion propre : elle épouse le désordre des existences qu’elle raconte. Chaque morceau fonctionne comme une pièce d’un édifice en reconstruction. Les silences y sont aussi parlants que les explosions sonores : tout respire, tout vacille.
La structure n’est pas linéaire — elle se dilate, s’effondre, se reforme. Ce désordre maîtrisé fait écho à ce que disent les textes : vivre dans le chaos, mais y trouver une forme d’équilibre. Le son épouse la parole, s’y colle comme une peau brûlante.
On est dans une écriture du réel par le bruit, un documentaire à vif où la musique devient prolongement du corps et de la colère.
Un cri antipop et sensible
PRETTY DOLLCORPSE se revendique antipop, non par posture, mais par refus des formats du beau, du lisible, du vendable. L’antipop, ici, est un choix éthique : préférer la sincérité à l’esthétisme. Le son bouge, grince, se tord, refuse la fusion propre — un paysage instable, brut, impur, comme le réel qu’il reflète. Cette esthétique du trouble rejoint la parole : pas de filtre, pas de vernis.
L’intensité monte jusqu’à SIXTH FLOOR, moment de paroxysme où la colère se transforme en pure énergie.
Puis G. MCKENNA ouvre une respiration : un pas vers la rédemption, la reconstruction.
La deuxième partie du projet s’adoucit, laisse plus de place au chant, à une forme d’harmonie fragile mais réelle. On y sent une envie de dépasser la douleur, de transcender les blessures par le geste artistique, mais aussi par la solidarité — celle qui relie, soigne et répare. Là où d’autres crient pour exister, eux crient pour reconstruire.
Un album nécessaire
PRETTY DOLLCORPSE est un cri de 30 minutes — un cri d’amour et de rage, un manifeste des marges. Un projet qui parle vrai, qui aborde ce que beaucoup taisent, et qui ne cherche ni légitimité ni genre, seulement la vérité du vécu.
Ce que le rap a toujours défendu — représenter, dénoncer, transmettre — trouve ici une forme nouvelle, brute, antipop, organique. Là où d’autres cherchent le beau, Femtogo, Ptite sœur et Neophron cherchent le juste. Et dans ce juste, il y a du bruit, du sang, de la honte, de la rage, du soin.
Mais cet album ne parle pas que d’eux : il s’adresse aussi à celles et ceux qui traversent les mêmes douleurs, les mêmes violences. Il se tend comme une main, une bouée, un phare dans la nuit — un espace de partage et de survie.
“ Demain tout ira mieux petit, c’est juste un autre jour ”
PRETTY DOLLCORPSE n’est pas qu’un disque à écouter : c’est une expérience à traverser. Un cri qui dérange, intrigue, bouleverse — et surtout, qui oblige à ne plus détourner le regard.
Article écrit par Carollsuzan